Aujourd’hui, nous nous retrouverons autour d’une photo et de quelques fleurs pour évoquer la mère qui s’est assise pour ne plus se relever. A cette occasion, je remets ici, un texte que j’avais confié à Anna de Sandre lors de mon premier vase communicant. Il est identique à l’original, à trois cent quinze jours près.
Il dit qu’on ne peut rien y faire, alors c’est inutile de se plaindre. Il essuie ses yeux en silence. Moi, j’observe la toile cirée.
Il dit que les rosiers auraient besoin d’être taillés, que c’est dur de donner à manger à des oiseaux en cage, qu’il aurait fallu laisser partir la tourterelle depuis plusieurs années, qu’ils avaient plein de projets, qu’il n’en a plus aucun.
Il dit qu’il va aller en se dégradant, qu’il redoute l’hiver, que les infirmières sont vraiment gentilles et que c’est à lui d’être à leur disposition.
Il se lève pour faire réchauffer sa soupe, sortir le jambon de sa boite, se servir un morceau du fromage que je lui ai porté. Il donne le reste de son pain à la chienne, elle geint, mais il ne l’entend pas. Il n’a plus le même regard.
Le soir quand on lui a retiré son appareil auditif et ses chaussettes, il se retrouve seul dans un grand mutisme et il regarde les images à la télévision, comme un enfant. Alors il va se coucher tôt, et il reste allongé sur le côté gauche du matelas, bien à sa place, sans déborder. Il dort un peu, mais pas beaucoup.
Le matin, quand il se lève, il va dans la salle de bain poser ses mains un long moment sur la chaise où il l’a trouvée assise. Il se tait, il attend. Rien ne vient.
Dehors, ce qu’ils ont bâti se défait lentement. Il sait qu’on n’y peut rien, il regarde, il se souvient. Combien de temps les traces familières mettront-elles pour s’effacer ? Il tient de maigres comptes pour chiffrer son chagrin : son âge lors de leur rencontre, de leur mariage, de la naissance de chaque enfant, la durée de leur vie intime – vingt mille deux cent quarante deux jours – ou encore le temps passé dans la maison, l’inventaire du temps vécu.
Quand je le vois assis, seul derrière la table, je pleure. Quand je pense à lui, je pleure. Quand il me parle ou quand il se tait, je pleure. Mais je me cache, pour ne pas le peiner davantage.
Il dit que c’est comme ça. Que c’est dur, quand même. Qu’il est content de me voir.
Il dit encore qu’aujourd’hui, ça fait trois cent soixante cinq jours.
Je vous lis et je pleure aussi. Moi, il y a vingt ans pour l’un, dix ans pour l’autre, et c’est hier. Pourquoi n’en parlons-nous jamais ? merci pour vos mots.
Oui, mais elle l’a rendu pas propre…
Faut pas prêter à n’importe qui.
Et je te remercie encore de me l’avoir confié à l’époque.
(On se fréquente depuis si longtemps à présent ?)
C’est très fort en émotions. Je n’ai pas l’art de l’écriture et je suis incapable d’écrire ce que je ressens. Mais je serai là pour ce 365ème jour sans elle.
« Il tient de maigres comptes pour chiffrer son chagrin » Comme le premier texte, très touchant, peu de mots, des phrases simples et l’émotion est là. J’aime beaucoup, voilà.
elle disait que c’était dur, mais que c’était bien, qu’elle voulait rester chez elle, que nous étions gentilles, qu’elle avait prévu tel menu pour le déjeuner où nous viendrions plusieurs, elle a attendu six mois et puis c’était fini
Il parait que les morts ne parlent pas. Je le crois aussi. Sans doute faut-il les y aider, comme ici. Ici, j’entends quelque chose. Pitié pour nos chagrins, ils sont immenses…
@ Anna : Depuis le début de ce site, ou presque. Un peu plus d’un an, donc. A l’époque, il était impensable que je mette ce texte chez moi, c’était trop vif. Alors il s’est réfugié chez toi où il a été si bien accueilli. C’était le meilleur endroit.
Moi, je pense assez souvent à ce beau livre de Berl « présence des morts »… D’ailleurs, j’aime beaucoup les livres de Berl.
Tout ça pour dire que les morts sont toujours bien vivants quand on les transporte avec soi. Ça n’a rien à voir avec la survivance d’une « âme » mais tout a à voir avec les barrières, les repères, les frontières, les conversations ininterrompues…
@ Babeth: à tout à l’heure
@ Merci Arf. Je me répète souvent cette phrase de Charles Juliet extraite du premier volume de son journal »Le propre des écrivains qui n’ont rien à dire est d’écrire abondamment ».
@ Brigetoun : Parfois, c’est trop difficile, ils ne peuvent pas s’accrocher. Elle avait raison – vous êtes gentille.
@ Depluloin : Je ne sais pas si ce sont les morts qui nous aident ou si c’est le contraire. Ils nous apprennent beaucoup sur nous.
@ Monch : C’est noté, le titre à lui seul est d’une grande beauté. C’est cela, oui, les frontières, l’interrompu et l’ininterrompues, ce qui reste, ce qui ne s’efface pas, ce qui résiste avec obstination au temps qui passe, et cet échange, cette perméabilité entre deux mondes (dont un qui est peut-être issu de notre imaginaire – ou peut-être pas).
Vinosse : C’est vrai, il ne faut pas prêter. Il faut donner.
@ Frédérique : Merci de rendre votre blog accessible aux handicapés de mon genre – asses peu heureusement! J’ai cru longtemps que le texte était de Madame de Sandre. Ce qui, au passage, est un beau compliment! :))
@ Depluloin : Vous et les vases… une grande histoire d’amour contrarié :0)
En accord avec Monch’… Je pense aussi à « L’oiseau bleu » de Maeterlinck, pièce que citait souvent ma grand-mère, et que j’ai lu il y a longtemps. Pas de guérison, mais peut-être un semblant de paix intérieure, quand tout a été dit, et fait.
C’est fou quand nos parents deviennent nos enfants. Mais des enfants qui ne savent plus jouer et qui regardent défiler le temps avec cette résignation qui nous est insupportable. Pour un vieux couple, la mort de l’un est une amputation pour l’autre.
@Sophie. Tu t’ souviens que c’est un des derniers, ou le dernier film de Cukor, avec Elizabeth Taylor ? L’oiseau bleu à Hollywood. C’était… comment dire… y a pas d’ mot !
Sinon, en parlant de Maeterlinck dont les livres me sont tombés des mains sauf un : un très beau livre sur son enfance « les bulles bleues ». Si vous avez l’occasion…
Ecoutez la chanson « Les vieux » de Jacques Brel! Pour ma part, je n’ai jamais su l’écouter sans avoir de suite la grosse boule dans la gorge. Et quand le temps lentement mais sûrement nous rattrape, on a aussi l’envie de chanter, toujours de Jacques Brel, son « J’arrive! ».
@SophieK. Là au-d’ssus, j’ te vouvoie à la fin du commentaire… La fatigue, ou alors le respect et la déférence qu’ tu m’inspires. 🙂
« Les vieux » de Brel… pffffouuuh… il a fait encore plus mauvais avec les « vieux amants »… faut dire que le mauvais, y connaissait… pas pour rien que Brassens l’appelait l’abbé Brel.
Mais Brassens aussi, quel ennui !… Jamais pu écouter un disque en entier…
Frédérique, votre salon… l’un des derniers où l’on cause bien! Très plaisant vraiment! Mais je me tais, j’écoute!
@ Babeth : Pourquoi pas Mano Solo pendant que tu y es! Je te conseille les Monty’s P. sur Youtube! Le match Allemagne/Grèce des philosophes! Et si après ça tu ne t’étouffe pas, alors… 🙂
@ Monch : On veut déboulonner les icônes ? Vous connaissez mon goût exécrable, je les aime tous et je suis d’accord avec Babeth 31 :0)
@ Depluloin : Mais le propre d’un salon, c’est que chacun s’y exprime. (J’aime Manu Solo, également, comme chacun l’aura compris).
@ Zoé : C’est exact, on ne partage pas sa vie avec quelqu’un si longtemps sans se retrouver perdu à sa disparition.
@FM. J’ veux rien déboulonner du tout, j’ donne un avis. C’est tout. Et puis, comme icônes, quand même, on a vu mieux. Mano Solo… pfffffouuuuhhh… inécoutable… 🙂
@Depluloin: dis donc toi! Tu veux qu’j’m’étouffe! Viens donc par ici pour causer un peu oeil dans oeil!!!
@Monch: je vous ai compris! Chacun son truc!
@ Monch : Mais si, mais si :0)
Babeth enfin! Tu m’connais quand même!! T’es pas allée voir sur Wouitube ?!! Oh ‘tain con! mais regarde! Sans te commander bien sûr!
@ Mon chien : Mano Solo, le seul chanteur qui ait des paroles, une mélodie, et sait articuler tout ça tout en pesant le poids de sa mort imminente?! (Je me demande soudain si l’on parle du même? A voir de suite…) Sinon, quel plaisir d’assister à… votre parloir héroïque… oui.
Vive Brassens et merde à Solo… Heu, vu qu’il est mort, je vais être censuré…
@Depluloin: j’veux bien aller voir sur »Wouitube » ‘tain con, mais faut m’donner le lien exact, pasque j’suis pas trop douée!
@ Babeth et Depluloin : Eh dites donc, un peu de tenue là-dedans où ça va barder !
@Frederique: Oh Frédérique! P’tain con c’est pas un vilain gros mot! C’est sans danger, ça n’engage à rien, c’est une façon de parler très couleur locale! Je trouve cette expression très chantante, surtout si elle est dite avec un accent convaincu:p’tain con!!!!(oups j’m’en vais! j’suis partie! très loin!….)
@ Babeth : Plus loin, plus loin… je te vois encore, encore, encore (ad libitum)
Oh! pauv’ Babeth!!
(Babeth, rien que pour toi hein? Pourvu que ça marche… http://www.youtube.com/watch?v=ur5fGSBsfq8&feature=player_embedded)
Hé bé non! :))
Si!!! Yesssssss!!!! Ouais!!!!!
@ Monch’ : « le respect et la déférence » ? Oh ben flûte alors, me v’là momifiée, mouhahahahaha !
(Sinon, pour le Cukor, je ne crois pas l’avoir vu, ou alors y a un bail genre « Dernière Séance », misère ! Je le note, ainsi que la référence Maeterlinck, thanks !)
@Depluloin: merci à toi! Heureusement que tu es là pour éclairer ma lanterne! J’ai vu que tu te débrouilles très bien avec Wouitube p’tain c..(je ne suis plus là)
@ Babichou 31 : Il y a des coups de pelle à tarte qui se perdent.
@ Babeth : Ah! tu as aimé? J’ai ri de mon côté! Rire sans avoir trop honte, c’est bien non? Justice soit rendue, c’est Luc L. qui n’a que des liens superbes!! Ah ba suis pas peu fier tiens!
@ Frédérique : Je ne comprends plus!! Comment que vous causez à ma mère!!!
Je suis le KING, cong’
Aïeaïeaïe!!!!!! Adieu à tous! Le dernier coup de pelle fut fatal!!!!
@ Depluloin : C’est beau cette piété filiale.
@ Vinosse : Un coup de sang ?
@ Babeth : Comediante, tragediante :0)
Ce texte est magnifique. Du particulier à l’universel. Il touche une fibre telle… Merci à vous.
@ Frasby : Merci d’être passée Frasby et d’avoir pris le temps de lire ce texte. « Du particulier à l’universel », ben ça me touche, forcément.
Je n’avais pas lu ce texte à l’époque. Dommage, il est magnifique, tout en retenue. Et si proche de la vérité de quelqu’un que j’ai bien connu. Lui aussi disait que c’était comme ça. Encore merci.
@ Jonavin : Merci :0)
Texte lu, sept cent soixante dix-huit jours après.
Émotion. Gorge serrée.
Merci Michèle.