Kinderzimmer – Valentine Goby

Être auteur procure parfois quelques avantages et j’ai celui d’avoir pu lire en avant-première le nouveau roman de Valentine Goby dont la sortie est prévue pour le 21 août 2013 chez Actes Sud : Kinderzimmer.

kinderzimmer_sCe qu’en dit l’éditeur : « En 1944, le camp de concentration de Ravensbrück compte plus de quarante mille femmes. Sur ce lieu de destruction se trouve comme une anomalie, une impossibilité : la Kinderzimmer, une pièce dévolue aux nourrissons, un point de lumière dans les ténèbres. Dans cet effroyable présent une jeune femme survit, elle donne la vie, la perpétue malgré tout.

Un roman virtuose écrit dans un présent permanent, quand l’Histoire n’a pas encore eu lieu, et qui rend compte du poids de l’ignorance dans nos trajectoires individuelles. »

La première phrase : « Elle dit mi-avril 1944, nous partons pour l’Allemagne. »

 Dans une langue charnelle, incantatoire, sèche parfois, où le pus, le sang et les bubons le disputent aux dysenteries, au choléra, à l’érysipèle et à toutes les misères qu’un corps malmené peut connaître, Valentine Goby prouve qu’elle n’a pas froid aux yeux et entre dans Ravensbrück en gardant les siens bien ouverts, comme Mila, son héroïne, qui fait stèle avec toutes les autres femmes du camp sur la lagerplatz.

Kinderzimmer est un livre de l’effroi, de l’engloutissement dans l’effroi, de la résistance à l’effroi,quand un simple bonbon à la framboise jette une lueur pourpre sur la succession de jours dénués d’horizon.

Oui, Valentine Goby ne craint pas de se confronter à une réalité que même les plus aguerris n’osent pas empoigner. Et elle le fait avec un ton qui ne lâche rien, qui refuse d’émouvoir, qui préfère frapper aussi fort et avec la même dureté que les coups qui ont été portés là-bas,comme ils le sont encore dans bien d’autres lieux dans ce monde. Il n’y a pas de place pour la faiblesse dans cette langue, comme il n’y en avait pas à Ravensbrück, comme il n’y en a nulle part quand faiblir signifie crever.

Kinderzimmer parle de l’ignorance où on peut être tenu de la minute suivante, cette attente où tout échappe, où on tient sans savoir si on va s’en sortir, où le choix de vivre malgré tout peut être laissé à la gueule d’un chien qui mord – ou ne mord pas. Une attente inimaginable qu’un bout de savon allège, qu’un vers de Corneille éblouit, qu’une chanson murmurée dents serrées fait reculer un instant. Et qu’y a-t-il d’autre à occuper que l’instant ?

« Et donc, se laver, se coiffer, continuer à apprendre, à rire, à chanter, à se nourrir et même, à mettre au monde, à élever des enfants ; à faire comme si. J’ai écrit ce roman pour cela, dire ce courage fou à regarder le camp non comme un territoire hors du monde, mais comme une partie de lui. » Valentine Goby9566702523

Il y a eu des films, des témoignages, des documentaires et d’autres romans – je pense à Michel Rachline et son éprouvant Le bonheur nazi ou la mort des autres. Pourtant Kinderzimmer n’est pas un livre de plus, ni même un livre de trop. Il est le témoignage de ce qu’à travers le temps, l’effroyable désespérance humaine continue de nous atteindre de plein fouet, nous qui croyons tout savoir alors que nous sommes juste dans l’ignorance.

Ne vous laissez pas effrayer par cette traversée, elle laisse place à une trouée de lumière donnée par une branche de lilas toquant à la fenêtre. On veut bien alors ouvrir ses bras et y laisser entrer les morts si nombreux qu’ils donnent leur vertige aux vivants.

Kinderzimmer – 218 pages – 20 € – Actes Sud (On peut lire ici, ce qu’en dit l’auteur)

 

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Cet article a 2 commentaires

  1. Véronique

    Bonjour Frédérique.
    je ne suis pas auteur… j’ai donc attendu le 21 août pour ouvrir le livre de Valentine Goby. Et comme chaque fois que j’attends un livre avec impatience, je le lis avec frénésie. Tout est beau dans ce que tu dis ce de livre, tout est vrai… La lumière est là, toujours, à chaque instant. Elle nous porte comme elle a porté ces hommes et ces femmes entrés dans l’enfer des camps, ou dans tout autre enfer sur terre. Chaque fois que je lis un livre sur l’horreur humaine, je ne peux m’empêcher de me poser cette question : et toi ? qu’aurais tu fait à la place de Mila et de toutes ces autres femmes ? Difficile la réponse.
    Je dis bravo à Valentine Goby d’avoir eu le courage du sujet. Bravo pour ces phrases écrites, comme tu dis, sans faiblesse, avec justesse.
    Véronique

  2. frederique

    @ Véronique : Je suis heureuse de ne pas t’avoir induite en erreur avec ce billet et de voir que tu as fait la même rencontre que moi. En prime, Valentine est une femme pleine d’énergie et d’enthousiasme avec laquelle tu devrais bien t’entendre 🙂

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