En terminant le dernier courrier que Dom Claude Jean Nesmy adresse à son ami, on est frappé par le silence d’Armel Guerne. Il s’est arraché un dernier mot succinct un an auparavant et dès lors, plus rien. On entre, par cette absence de réponse, dans l’agonie d’un homme. Devant Cioran, Armel Guerne était en admiration et comme toutes les admirations, celle-ci ne pouvait qu’être déçue. Devant Dom Nesmy, il est en amitié. C’est à lui qu’il se confie, c’est avec lui qu’il partage, c’est sur lui qu’il s’appuie et c’est encore à lui que s’adresse sa dernière correspondance.
Oui, la lente et longue agonie d’un homme à qui tout fut arraché dans la douleur et qui s’est dépouillé de sa véhémence même pour entrer dans une dimension dont il ne peut rien dire, qui le réduira au silence durant plus d’une année. On accompagne ainsi dans la mort, un être auquel on s’attache profondément malgré ses égarements et une sévérité parfois déplacée. On lui préfère ses emportements, sa lucidité, son éveil radical, ses visions débordantes et sa joie solaire. Un homme donc, avec ses appétits et ses détresses, passeur entre deux mondes, qui rageait, qui pestait, qui honnissait aussi, mais qui savait tenir son cap et ne laissait pas tomber.
Armel Guerne ne parle que d’une seule chose – l’anéantissement de l’homme par l’homme. Et que s’est-il passé durant quelques dizaines d’années qui sont une fraction de seconde ? Une accélération du chaos, un mouvement de précipitation qui paraît inexorable.
Alors, que nous reste-t-il ? Des femmes et des hommes qui se mettent en marche seuls, qui avancent seuls, qui continuent de croire, envers et contre toutes les manifestations de la déchéance, qu’être ici, jetés dans ce monde, c’est précisément rester droit, rester digne et résister. Que les raisons de leur cheminement soient spirituelles, politiques, intellectuelles, religieuses ou humanistes importe peu. Ces gens tiennent langage commun et patiemment, ils entrent en rébellion, pour rappeler que le changement du monde passera par le changement du cœur de l’homme.
Notre héritage vient de cette longue lignée qui se hisse au-dessus des cultures et des époques, des sexes ou de la couleur des peaux, et qui va, magistralement, fièrement et sans désarmer des choses visibles et qui n’existent pas, aux choses invisibles et qui existent.*
* Saint Jean de la Croix
Pour connaître l’intégralité de son œuvre, il faut se rendre sur le site que lui consacre l’association Les amis d’Armel Guerne, qui édite pour ses adhérents la revue Les Cahiers du Moulin. S’il fut méconnu, voire ignoré de son vivant, Armel Guerne peut aujourd’hui compter sur de nombreux et fidèles amis pour diffuser son œuvre.
Les photographies sont des reproductions de certaines pages du livre « Les jours de l’Apocalypse ». © Les Amis d’Armel Guerne asbl