Elle scrutait la rue à travers la vitrine, bouche entrouverte. Une mèche bouclait derrière son oreille et venait se lover dans son cou, dérobant les palpitations bleutées d’une veine. Elle passa la langue sur ses lèvres et soupira. Elle agita sa cuillère dans la tasse vide, décroisa ses jambes, étira sa cheville. Sa jupe en voile se releva dans ce mouvement, laissant apparaître un grain de beauté à la naissance du genou. Des hommes passaient sur le trottoir d’en face, aucun n’était le bon.
Il cherchait en vain le courage de se lever et de s’asseoir en face d’elle. Lui prendre la main et lui sourire. Il aurait fallu qu’elle le comprenne sans un mot. Il voulait renifler l’odeur qui se nichait sous son petit pull court, goûter la délicatesse de sa peau à cet endroit où elle file sous l’aisselle. Immobile, les yeux baissés sur ses ongles rouges, elle semblait respirer à peine, ses cils arc boutés au-dessus de ses joues. Par intermittence, elle faisait tourner une bague autour de son doigt.
En relevant ses manches, elle découvrit ses poignets graciles et osseux. Que dirait-elle s’il les saisissait pour les ramener dans son dos et l’immobiliser ? Que dirait-elle s’il la serrait avec fureur, avant de mordiller son oreille et d’y insinuer sa langue ? Il sentirait ses formes imbriquées dans les siennes. Il encerclerait sa nuque de sa main libre et l’embrasserait, la boirait, la renverserait sous ses envies. Elle tourna la tête dans sa direction, les traits bouleversés par un sourire.
Il n’y répondit pas, visage fermé. Il n’eut pas besoin de se retourner pour vérifier qu’un homme était entré. Grand, décontracté, il fourrageait dans ses cheveux blonds pour s’excuser de son retard, un casque de moto pendu à son bras. Il n’eut pas envie de le voir se pencher pour déposer un léger baiser sur sa bouche qu’elle tendait déjà, offerte par ce geste à celui qui l’avait fait attendre. Il serra les dents en espérant que ça passe.
Il se leva, paya en jetant quelques pièces sur la table. En passant près d’eux, il eut un dernier regard pour son décolleté, dans lequel un autre que lui glisserait bientôt ses doigts, pendant qu’elle disait : ça ne fait rien, je t’assure. Leurs mains étaient jointes par-dessus la tasse. Avant d’ouvrir la porte, il observa son reflet d’homme maigre serré dans un blouson étroit, ses yeux plus tristes que celui d’un chien au moment de crever. Puis il sortit et se laissa engloutir sans résistance.
…/…
Combien de destins ainsi croisés ! Un bref instant, une heure…
J’ai été et suis encore comme tant d’autres, ce rêveur attablé, bien souvent.
Amoureux muet, abandonné déja avant que d’avoir pu être.
Merci de ces mots vivants.
C’est joliment dit Thierry, merci de votre lecture.
Sur (presque) le même thème, un modeste poème de mon cru : Passion éphémère
Un sourire, un regard à peine échangés
Furent, pour eux, plus qu’un moment d’éternité.
L’amour naquit d’une rencontre,
Instants éphémères ou s’arrêtent les montres,
Au détour d’une rue ou d’un grand magasin,
Elle fut devant lui, étonnée, très émue …
Il lut furtivement quelques mots en ses yeux,
Reprirent leur marche solitaire, et rien,
Pas un sourcil qui bougeât, ni d’œil qui suivit
L’autre … Le temps, un instant, son vol suspendit,
Seconde muette d’horloger d’outre-monde.
Ils vécurent une vie de tendresse et d’amour
N’ayant même pas rêvé ce moment-toujours…
Entre eux naquit une passion profonde
Qui ne dura l’espace que d’une seconde.
Jamais ne se revirent, mais si peu importait
La durée, mais la force du temps partagé.
Il va de ces choses qu’en un regard échangé
Peut passer plus d’amour qu’en une longue vie.
P.F.J.
Oui Pierre. Merci.
Voilà t’y pas que je m’ennuyais,
Je décidais,eh oui mon gars
De faire la fête
De faire le fou !
De m’offrir une limonade.
Je n’étais pas dans la panade,
Je cherchais un nom
Un goût oublié
Même du garçon de café.
Il ne pensait qu’à draguer.
Faut dire qu’il avait de quoi !
A deux tables de moi,
Musaient deux, fort, jolies
Jeunes femmes.
L’une d’elle me souffla
De choisir un Gambetta,
Limonade à la figue.
Le printemps qui passait par là
Me donna envie de ce goût là.
L’une d’elle,
Fanny qu’elle s’appelait
Belle comme ce n’est pas permis
Sure d’elle
Pas froid aux yeux,
Se souvint
M’avoir vu
Improviser un poème
Sur du jazz
C’était sympa,
Inattendu,,
Plus rigolo
Que la presse
Que je feuilletais,
Distrait,
Elles attendaient,
Mes oiselles
Deux musicos,
Un bassiste,
Un batteur,
Compères
En free jazz,
Fêtards joyeux,
Complices
Pour embarquer
Les amatrices
De bonne zique
De moments festifs.
Le lendemain,
J’ai retrouvé
Les musiciens,
Pour un bœuf
Plein de délire,
J’aurais aimé
Savourer
Le rire
De Fanny
A qui j’avais un peu promis
D’écrire un p’tit brin de poésie.
Je peinerais
A esquisser son portrait,
Ce que j’en vis,
Était si joli,
Longue chevelure brune,
Regard franc,
Décolleté éloquent,
Seins dansants,
En liberté,
Sans insolence,
Le sens de la distance.
Elle a débridé
L’envie d’écrire,
De saisir
Ce moment désir,
Vite fait,
Sur le clavier.
Merci !
Fanny, les musiciens,
Son amie.
Eh bien, il semblerait que ma prose suscite des vocations poétiques. Merci Patrick pour votre participation.
Peut-on citer A une passante » de Baudelaire sans que la coupe des commentaires déborde ? Sans doute pas…
Je me bornerai plus prosaïquement à rappeler à Pauvre Coco aux yeux de chien battu, que si les jolies filles sont toutes maquées, tous les types bien sont mariés et que c’est match nul.
Je n’ai pas le temps, mais c’est encore un texte très émouvant! J’aime beaucoup!
Merci pour ces évasions poétiques, dans vos regards croisés.
@ M : On peut le citer bien sûr ! Et maintenant que tu as appâté le chaland…
@ Babeth31 : C’est gentil d’être passée, surtout aujourd’hui. Que la journée soit bonne.
@ Chpou : En ce qui concerne les poésies, je n’y suis pour rien 🙂
Beauté d’une écriture juste, Frédérique.
Il me semble qu’il y a bien longtemps que je ne suis pas venue mettre quelques mots par ici sur ta plume toujours troublante … me rappelant le choc provoqué par ta lecture de Femme Vacante une belle journée d’automne à Lauzerte…quatre ans déjà !
Merci Frédérique de continuer à m’offrir ce bonheur là…
J’ai vu que Femme Vacante faisait l’objet d’une lecture musicale ??? Tu m’en diras davantage ? Quel instrument ?
Je t’embrasse …
@ M : Bien sûr Baudelaire … bien sûr !! …et si le « passant » n’est pas marié …de toutes les façons , une femme rôde …
Merci Michèle, je me demandais justement ce que vous deveniez.
@ Juliet : Lecture musicale avec Christophe Haunold au piano et à l’accordéon. Une lecture que nous donnons depuis quatre ans déjà, nous aussi. A PAu cette fois-ci au Palais Beaumont à 16H00 le samedi 26 novembre. Salle Ernest. Bien contente d’avoir de tes nouvelles, Juliet.
Une scène d’une rare sensualité, le détail du mouvement, la justesse des mots … silence, on tourne.
Merci et bravo, Frédérique.
@Frédérique: Qui se sent appâté n’aura qu’à suivre le lien mis plus haut..
@Juliet: “A un passant” existe aussi, figurez-vous, vous pourrez le lire sur le site de Pastiches.net , sous la plume de mon amie MO.
@ M : Je n’avais pas vu le lien, pardon.
Il ne marchait pas en plus!
Donc le revoici.
Le lien, c’est du boulot. Faut être constante 🙂
Eh oui, la relation, ça se tisse peu à peu, sinon c’est lâcheté et elle aime pas ça..
Mince, Les passante, c’est fait! Trouver autre chose. J’apprends que c’est de Baudelaire… j’avais un autre nom en tête… (Non pas, Brassens!)
Les Passantes, y en a plusieurs bon sang!!!
@ C’est ça Pluplu. Il y en a plein !
ça démarre comme une nouvelle érotique, me suis-je dit en attaquant ma lecture (tu devines pourquoi), et puis non…, c’est l’histoire d’un chien qui cherche à s’abandonner…
@ Gilles : 🙂 On dirait que… et puis non finalement (je ne vais pas en faire une habitude, non plus). C’est de l’attente, des deux côtés, mais qui n’arrive pas à coïncider.
Ah, bah, je croyais avoir laissé un commentaire ! Et pi j’avais dit que des choses mignonnes à ton propos et tu n’est pas venue sous l’arbre. maintenant bien-sûr mon petit bouquet est un peu fané. 🙂
Tu n’es sans t pour sûr
Comment ça Zoé ? Je ne suis allée nulle part depuis notre dernière rencontre, tête au fond du sac jusqu’à la fin du mois. Mais je vais aller chercher mon petit bouquet qui ne peut pas être fâné 🙂
@ Didier : Je croyais vous avoir répondu, mais j’ai dû rater une étape. Merci de relever la sensualité du texte.
Un texte juste et touchant. Que celui ou celle qui n’a pas rêvé d’amour dans un café…
Samedi 16h, j’y serai 🙂
@ Fabeli : Merci et à Samedi, alors 🙂
Texte très subtil, encore une fois, bravo Fredaime !
L’intéressant sujet qui pourrait s’ensuivre serait sur l’apparence des êtres, ce qui suscite tant de désirs « d’appropriation », et tant de frustrations d’en être « dépossédé », alors qu’on ne possède jamais rien, ni personne… ;0)
@ Sophie K : C’est une partie du propos de « Femme vacante ». Mais c’est un vaste sujet qui mérite qu’on y revienne par plusieurs biais.
Dis-moi, toi aussi tu fêtes (sans fêter) tes trois ans et toutes tes dents non ?
Tu es plus attentive que moi, Zoé. Mon premier billet date du 20 décembre 2008. Donc, oui. Trois ans dans moins d’un mois 🙂 Champagne !
Ah enfin! Des bulles!
@ Babeth31 : Tu me rappelles quelqu’un 🙂
Je viens manger toutes tes confitures, niam niam. :0)
Ah mais alors là, c’est quand tu veux, Sophie !
Gare à toi, je suis une videuse de provisions pour l’hiver, héhéhéhé !
Donc au printemps, vaut mieux, d’acc’ ? :o)
VENDU !
Superbe!
On ne sait pas trop si cet homme aurait autant désiré cette femme si elle-même n’avait été dans le désir d’un autre… L’accroche se fait sur son regard scrutateur… En tout cas on a l’impression d’être dans la salle et d’assister à la scène, mieux de ressentir leurs émotions, on a même un peu peur pour la fille, non?
Bravo, c’est du grand art…
Dis donc, le titre nous avait prévenues, mais bon, il arrive quand le prochain autobus 🙂
Bientôt Zoé, bientôt. Quelques soucis me tiennent éloignée pour l’instant. Merci de venir vérifier que je suis toujours de ce monde :0)
Merci Galm de votre visite et de votre lecture.J’en profite pour recommander la lecture du votre à mes fidèles visiteurs.