Je remets ici le texte paru initialement chez Francesco Pittau lors de notre vase communicant de février dernier. Le titre me paraît tout à fait d’actualité, comme la symbolique du texte. Bonne route, donc, en attendant une prochaine valse...
La plupart des gamins étaient montés dans le car, un peu plus tôt, encouragés par leurs professeurs. Mâchoires contractées, le chauffeur regardait au loin, cet horizon qu’il n’atteindrait pas malgré les distances parcourues. La fumée s’échappait de plusieurs conduits de cheminée, sous un ciel raide qui brisait les toits d’ardoise. Le clocher sonna six heures en laissant le dernier coup s’éterniser avec orgueil.
– Are you ready, boys and girls? Hurry up !
– Bon, mon petit, faut y aller maintenant.
Le garçon s’élança, aussitôt rappelé :
– Viens me faire une bise.
– Oh mamie, c’est bon, là ! Je vais plus avoir de place.
Mais il revint sur ses pas et l’embrassa plusieurs fois. Elle ne put s’empêcher de le serrer trop fort.
– Laisse-moi te regarder… petit cochon, va.
Elle humecta son index de salive et nettoya une tache de chocolat sur son menton. Le garçon eut une grimace, puis un frisson de dégoût. Il s’esquiva et courut rejoindre les autres, à l’intérieur du véhicule.
– Attention de tomber !
Elle se hissa sur la pointe des pieds, en prenant appui contre la carrosserie jaune pour suivre la progression du garçon dans la travée centrale. Il riait, bousculait ses copains, distribuait des grimaces aux filles. Il s’assit près de la fenêtre, juste au-dessus d’elle et la gratifia d’un petit signe de la main, avant de flanquer un coup sur le crâne du rouquin assis à côté de lui. Elle voyait son oreille un peu décollée, les mèches noires sur sa nuque, l’arrondi de sa joue, la commissure rouge de ses lèvres. Elle avait mal au ventre à l’idée de ne plus pouvoir l’embrasser. Elle cria :
– Enlève ton manteau, tu auras froid en sortant.
– Il ne vous entend pas. Ils sont tout excités. C’est normal… l’Angleterre, leur premier voyage sans nous. C’est votre petit-fils ?
Une jeune femme l’observait, tête penchée. Elle lui adressa un sourire sec :
– Oui, c’est moi qui le garde maintenant. Je ne vais pas pouvoir lui parler pendant cinq jours, alors j’en profite.
– Il ne faut pas vous inquiéter, il ne va rien leur arriver.
Elle sentit ses joues se marbrer et cligna des paupières à plusieurs reprises sans répondre. Sa gorge était dure, ses mains glacées.
– On ne sait rien, dit-elle, rien du tout.
Mais la jeune femme était déjà partie rejoindre un groupe de parents, un peu plus loin. Tous attendaient le départ.
Elle sursauta quand le moteur se mit en marche dans une odeur d’huile et de gaz d’échappement. Le métal vibrait sous sa paume ; elle la retira comme si elle avait été mordue. Son cœur s’affola tandis qu’elle fouillait dans son sac. Elle ne la trouvait pas ! Elle en aurait pleuré, là, devant tout le monde. Mon Dieu, pourvu que je la trouve, s’il vous plait, par pitié, aidez-moi. Le garçon regardait droit devant lui, la jeune femme agitait son bras en signe d’adieu. Elle se souvint qu’elle avait mis la fiole dans sa poche de manteau, précisément pour ne pas avoir à la chercher. Elle la sentit sous ses doigts, lourde et lisse, tandis que le car s’ébranlait. Vite, la sortir, vite, dévisser le bouchon. Aidez-moi ! Elle jeta l’eau de toutes ses forces. Les gouttelettes s’agrippèrent de justesse au métal, tandis qu’elle marmonnait, les yeux clos, les bras tendus devant elle : Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Amen.
…/…
Détail photo : <a href= »http://www.photo-libre.
Oh ! Je m’en souviens comme si c’était hier ! (Vous partez? Nooooon ??? Si ?)
Je vais prendre quelques jours en effet. Et puis, mon livre entre bientôt dans l’arène 🙂
C’EST VRAI !!! Alors je vous dis… En tout cas je le pense très fort ! 🙂
Merci Pluplu <3
Merci pour pour cette piqûre de rappel. La nostalgie a parfois du bon… il faudra leur dire !
Bonnes vacances, Frédérique.
La chute continue de m’enchanter, moi l’anti-calotin primaire.
On leur dira Didier 🙂
Anti-calotin primaire ET ami de Santa Maria de las Pacotillas. Tu ne crains pas la contamination, Gilles ?