Cette nuit-là, elle avait encore rêvé de lui. Il la prenait dans ses bras – depuis combien de temps cela ne leur était-il pas arrivé ? Impossible de retrouver la dernière fois, peut-être qu’en ignorant le poids de cette étreinte, elle n’avait pas pu s’en saisir. Il était bien plus jeune, elle avait reconnu son odeur. Il souriait, heureux de la voir, d’être avec elle. Et puis soudain, il l’avait repoussée en déclarant : « Nous ne sommes plus deux flammes unies ». Elle avait continué de pleurer bien après son réveil.
Elle s’était dit qu’on se réconciliait peut-être dans les rêves, le meilleur d’elle et le meilleur de lui, enfin réunis. Et que le reste, ce qu’ils vivaient, n’était qu’un mensonge. C’était sa manière de trouver la consolation, aussi s’était-elle imaginé qu’ils avaient eu ce rêve au même moment. Comme ils ne se parlaient plus, elle ne pourrait le vérifier.
Elle avait calculé qu’ils avaient passé la plus grande partie de leur vie à être séparés, qu’il y avait eu plus d’injures que de mots d’amour, plus de dureté que de tendresse. Mais bon, tout ça ne l’empêcherait pas de trimballer partout la nostalgie de ce qu’ils avaient raté. Impossible d’y renoncer, alors même que toutes les tentatives avaient échoué entre eux comme des cadavres boursouflés.
Parfois, elle sentait de l’huile se figer en elle, épaissir ses mouvements. Les heures s’alourdissaient pendant qu’elle traînait ce poisson mort dans son ventre. Et puis cela partait, comme c’était venu. Mais ça reviendrait. Ça revenait toujours. Alors en attendant, elle chérissait deux ou trois souvenirs arrachés à la rancune, un caillou qu’il lui avait donné et une promenade où ils avaient été en paix.
Dans ses rêves à elle, ceux qu’elle fait les yeux grands ouverts, ils s’appellent comme ça, sans autre raison que d’entendre leurs voix respectives. Ils se baladent, se retrouvent au restaurant où ils s’offrent des livres, parlent de choses sans importance et rient de petits riens. Ils sont seuls, c’est leur choix. Quand leurs regards se croisent, ils ne peuvent s’empêcher de sourire.
Je vous lis souvent sans rien commenter. Mais votre écriture me touche à coup sûr.
Humpf… le style de ce texte… j’ai eu l’impression d’un vent qui tournoie entre dit et non dit. Comme ses sentiments à elle. Je ressens une grande ambiguïté, ou quelque chose de contradictoire, ou encore de très nostalgique. Ah la la lamour !
@ Joël : Et moi cela me fait plaisir d’avoir de vos nouvelles et de vous savoir ici.
@ Gibi : Il ya des relations ratées. Elles auraient pu s’épanouir, mais elles dérivent. Toute l’ambiguité vient de là, ce à quoi on aspire qui se heurte au réel.
De ceux qui devraient nous être proches, et aimants, et rattachés, et étayants, et qui mystérieusement ne le sont pas, ne peuvent pas l’être, comme par essence, par constitution, et qui finissent, sans doute tétanisés par cette fatalité, par s’y soumettre, aveugles et croire se définir comme ne voulant pas l’être, que dire?
Il est beau d’essayer.
La question reste, de ce qui est le plus héroïque: s’obstiner à espérer encore, ou remettre en leurs mains cette souffrance et passer son chemin?
@ Magali : Je suis d’accord avec toi, à part qu’il n’y a pas d’héroïsme dans tout ça. De l’empêtrement, de l’impossible, de l’élan perdu et de l’irrecevable. Les limites que se donnent les affections humaines, ni plus ni moins.
« Parfois, elle sentait l’huile se figer en elle, épaissir ses mouvements. » Quelle superbe image! En revanche, « la nostalgie de ce qu’ils ont raté »… est plus étrange je trouve. J’ai beau être nostalgique, aimer ma nostalgie…
(Et, en effet, cette surprise, cette incrédulité, lorsqu’une (vieille) amie me dit : « Tiens, j’ai rêvé de toi l’autre nuit! » C’est rare, n’exagérons rien!;)
@ Depluloin : Tout le monde semble partir sur la piste d’une relation amoureuse, mais où est-il dit que c’est de cette relation qu’il s’agit ? Il y a d’autres formes d’amour, d’autres relations aussi importantes que l’attachement amoureux et qui peuvent aussi échouer.
Notre vie contient sans doute plus d’échecs et d’avortements que d’avènements radieux. Mais un seul sauve tout. Est-ce amour ou amitié, peu importe, reste ce désir attaché qui stimule le plaisir d’y rêver.
@ Frédérique : Alors là… Je relis, essaie d’imaginer une autre relation. Bon, j’ai un mot de mon médecin, j’y reviendrai demain. (Vous devez être bien déçue alors?) … Je médite votre réponse.
@ Depluloin: Bien déçue de quoi ?
@ Zoé : On y trouve de tout, c’est la foire à la brocante :0)
@Depluloin & Frédérique : « J’ai beau être nostalgique, aimer ma nostalgie… « ……. Il me semble que justement dans la nostalgie il y a ça ou il peut y avoir ça. Quelque chose qui tient (ou qui retient) en arrière, au passé. A ce qui aurait pu être (ou qui a été quasiment). Une fidélité souvent aussi encombrante qu’une armoire normande ou qu’un horloge comtoise. Et à laquelle on aime tenir. Est-ce par manque de capacité à s’élancer ailleurs ? D’ailleurs, n’est-ce pas le ressort central de ce texte ? Cette nostalgie. C’est une question et non une affirmation.
dans ce sourire de rencontre il y a la nostalgie très amère « de tout ce qu’on à raté » tant l’amour est exigeant! Tu le dis si bien…
@ Frédérique : Eh bien… que j’y ai vu une relation amoureuse. Alors que… (Mais ce matin, j’ai peine encore à voir autre chose que des liens extrêmement… forts?) Ah les hommes comprennent rien à ces choses!
@ Gibi : C’est tout à fait le ressort de ce texte, une loyauté à laquelle elle semble incapable de se soustraire et qui, sans doute, l’empêche de s’élancer ailleurs. Bien vu.
@ Manouche : Je ne crois pas que l’amour soit exigeant, c’est l’idée qu’on s’en fait qui l’est et la difficulté à lâcher que cela représente. C’est un défi au « petit moi » cher à Charles Juliet.
@ Depluloin : Mais si, les hommes aussi comprennent ces choses là, ce n’est pas l’apanage des femmes. C’est une vision toute masculine de croire que le sexe opposé est plus doué dans le domaine des sentiments :0)
Moi, j’y lis la mère et son fils… à cause de « l’odeur »… une nichée qui sort du ventre, ça laisse des traces… La mère hume, quel que soit l’âge, la marque indélébile. Dommage de taire les mots entre elle et lui, mais peu importe, l’essentiel, impudique parfois à exprimer, est le lien. Ne rien dénouer.
@ Frederique la photographe : C’est effectivement une autre possibilité, le lien familial. Pour l’odeur, cela convient aussi à un amant, son odeur reste reconnaissable entre toutes. Dans ce texte, une femme aime un homme sans que rien ne puisse exister entre eux. Connaitre leurs liens est-il le plus important ?
Non, aucune importance, effectivement. D’ailleurs, l’ombre qui enveloppe la nature de leur lien est le fil conducteur de votre écriture. Je ne m’y trompe pas. Cependant, en tant que lectrice, je vagabonde dans ce que l’auteur tait et/ou suggère.
@ Frédérique la photographe : :0)