Tous les Vingt-six février, une tradition personnelle veut que j’aille fêter une rencontre qui a changé ma vie. Ce jour-là, nous élisons avec soin le restaurant de qualité qui nous accueillera et nous donnera l’occasion de nous réjouir du temps comme il passe bien quand on a su choisir sa compagnie. Cette année, il s’agissait de l’Auberge des chevaliers qui se présente ainsi : « … référencée dans de nombreux guides gastronomiques : Gaultmillau, Bottin Gourmand, Champérard, Hubert, Pudlo, Le Routard, Le Petit Fûté, fait partie des Cuisineries Gourmandes des Provinces Françaises et certifiée Qualité Tourisme par le secrétariat d’état au Tourisme. »
Eh bien, ces références datent au moins de la guerre des poilus quand il n’y avait plus grand-chose en état de marche.
Ou alors c’est que le chef est décédé et qu’on n’aura pas pensé à en faire l’annonce.
Dès mon arrivée, un sixième, septième et huitième sens m’avertissent que je me suis fourvoyée.
Passons sur la décoration douteuse : sabots pendus aux murs non loin de tapisseries de guinguois, ampoules grillées, verres arcopal et couverts de cantine. Les ardoises chargées de recevoir les assiettes sont bancales, qu’à cela ne tienne, on les calera avec de vieux prospectus de la Saint Valentin. La salle est vide, mais on nous colle à la seule table qui soit dans une porte battante, qu’importe, la cuisine est bonne à ce qu’on prétend.
Alléchée par une carte fournie et prometteuse, je déchante illico en apprenant qu’elle n’a plus court. La serveuse n’a que deux tables à servir, c’est heureux car elle est débordée. La nôtre, en plus d’être mal placée, n’a pas de lumière. C’est égal, un fond de chandelle fera l’affaire. A défaut de grives, nous commandons des merles et on verra bientôt qu’eux aussi avaient guerroyé en 14.
Issus tout droit de leur barquette en plastique pour atterrir dans une verrine, des filets de harengs marinés nous sont présentés en guise d’amuse-bouche avec quelques dés de boudin noir et de boudin blanc. C’est raffiné, c’est délicat, on s’en lècherait les papilles. S’ensuit un rouget sorti du congélateur pour se dessécher d’ennui sur sa plancha avant d’agoniser toutes arêtes dehors sur une foutue compote d’aubergine. En face, on a choisi le pressé de canard et son foie gras. C’est vrai qu’il était pressé, le pauvre volatile, il est parti sans son foie. En lieu et place, une frisée s’aère à grand peine. La serveuse est au plus mal – deux autres tables viennent de se remplir – elle en oublie le vin. De toute façon, elle ne l’avait pas goûté et ne savait qu’en dire. La piquette lui en sait gré. Comme nous sommes mal élevés, nous lui réclamons la bouteille, comme elle est courtoise, elle nous la pose sur la table. Nous découvrons que le prix du self a considérablement augmenté.
Pour le plat de résistance – et il en faut au client à ce stade – un magret uniformément brûlé sur toute sa partie charnue se vautre dans une sauce dont l’unique composant semble être de l’huile. Il y nage des choses incertaines que la bougie est impuissante à révéler. Le filet de veau aux morilles est bien sec comme il se doit et sa galette de pommes de terre croustille d’effroi après la violente cuisson qui l’a irrémédiablement durçie. Deux pois gourmands croisent le fer devant un champignon de couche ramolli. Sous son chapeau se terrent quelques copeaux de morille.
Ah, m’écriais-je dans un élan d’optimisme, le fromage sera le meilleur plat que nous aurons ce soir. Il venait du Mont de Lacaune, il aurait dû y rester. La gelée qui prétendait le soutenir ne doit rien à l’inventivité d’un chef, mais plutôt à celle de bonne-maman. Tout était pasteurisé à souhait.
Rapplique enfin le clou de la soirée, le framboisier. Deux ou trois fraises le chevauchent, ce qui nous laisse perplexes. Un coulis coule. Après que la petite cuillère ait franchi, non sans mal, un biscuit et une épaisse couche de crème, une farouche résistance lui interdit d’atteindre les malheureuses framboises qui gisent au fond de l’assiette. Refusant de capituler, nous arrachons les fruits de haute lutte – après tout nous allons les payer, ô combien ! – pour les enfourner hardiment. Congelé, il faut le savoir, le framboisier perd en saveur ce qu’il gagne en consistance.
Nous avons refusé de prendre un café, on nous a privé de mignardises. Un peu lasse et lourde, je décide de visiter l’endroit dans ses moindres recoins et part à la recherche des toilettes. Un itinéraire Michelin m’aurait permis d’y arriver plus vite. Comme les ampoules n’éclairaient qu’à cinq watt, je peux vous assurer qu’il y avait du carrelage sans pour autant vous en donner la couleur. Peut-être me trouvais-je dans la cuisine.
Le poids de notre estomac inversement proportionnel à celui de notre bourse, nous sommes donc sortis sur la place de la fontaine, fort bien nommée, puisqu’il ne nous restait plus que nos yeux pour pleurer. L’enseigne était à moitié éclairée, l’heure est à l’économie. Un si bel anniversaire méritait une maxime, je vous l’offre car c’est ma tournée :
Si tu songes à divorcer, fonce à l’Auberge des chevaliers.
« … une frisée s’aère à grand peine » ;o)
Quelle déconfiture!!!!
Mais quel humour
C’est bien là le drame,
ma pauv’dame …
et c’est aussi dans l’air du temps, à midi, c’est pas mieux …
cf Marianne no 723 (de cette semaine) Manger mal et cher: un nouveau plaisir français ? article rubrique « savoir vivre » (sic) page 84: Quand le repas de midi vous reste en travers du gosier.
et de mon idole journalistique Périco Légasse, lire aussi page 94 « Le goût du mentir plus cher » & a table avec Jean Pierre Coffe …
et si je n’avais pas écrit ce commentaire, j’allais manquer sur Marianne2: So French So Good …
http://www.marianne2.fr/SlovarMarianne/So-French-so-Good-Les-bons-produits-francais-venus-d-ailleurs_a190.html.
plutot So Far, So Long … si loin, Adieu !
Un peu d’espoir, comme dirait mon frère:
http://www.wired.com/wiredscience/2009/05/food-web-meet-interweb/
http://www.fastcompany.com/1551693/qa-melanie-cheng-farmsreach-local-food-system
http://www.farmsreach.com/welcome/about/index.html
en tout cas, on y travaille et après, on dira ce qu’on voudra des Ricains …
Bon Dimanche,
René
PS/ Mon resto « La Flûte à l’Or » à Lauzerte, c’est celui de Cigalon … il est fermé.
Non pas parce que les clients ne sont pas dignes de sa cuisine, mais parce que les produits ne sont pas dignes des clients …
@ Luc : ;o)
@ Babeth : La vengeance est un plat qui se mange froid.
@ Caféducommerce : Aurais-tu connu quelques déboires gastronomiques toi aussi ? Bon dimanche à toi. Moi, je digère.
C’est ton 2e billet dans le culinaire… Serais-tu en train de te reconvertir ? Le bruit de la fontaine sur la page d’accueil de leur site est too much.
@ McGibi : Le critique gastronomique est mieux loti que l’auteur (surtout s’il se prénomme Pierre). J’envisage d’écrire des livres de recettes. Peut-être qu’ils m’en assureront de plus conséquentes.
En effet, je n’ai pas toujours mangé dans de bonnes auberges … La « Bonne » Auberge, par exemple, m’a privé d’huitres pendant … 20 ans ! Mais la peine maximum est de gérer un restaurant.
A défaut de bonne chair, vous nous régalez d’un verbe qui exprime votre déception sans en faire un plat. C’est dommage un anniversaire qui tombe à plat.L’essentiel est comme vous le faites,de rester bien dans son assiette et ne pas partir pas à couteau tiré de chez le resto rateur. Dans un moment festif, la finesse des mets aiguise la joie apporté par l’être cher qui, lui, n’a pas de prix.il est inutile de plomber, davantage, le moment.
L’humour permet de mettre à leur juste place ces péripéties. Il m’est arrivé de le faire « in situ » à la grande joie des autres convives et à la déconfiture du chef. J’ai, même, convaincu un restaurateur d’opérette de me laisser recuisiner un poisson qui méritait d’être traité avec des égards que le gars avait oublié.il suivit l’opération avec un réel intérêt. Comme quoi!
@ Patrick Verroust : J’étais colère quand même, je dois vous le dire. Mais je ne crois pas au poids des mots dans ces cas-là. Donc je me tais et… j’écris.
J’adore quand tu es dans ce registre. J’en ris encore.
« Il y nage des choses incertaines que la bougie est impuissante à révéler. »
« Comme les ampoules n’éclairaient qu’à cinq watt, je peux vous assurer qu’il y avait du carrelage sans pour autant vous en donner la couleur. »
(désolée je ne peux pas copier-coller tout le texte)
@Caféducommerce : ach, Périco… Ich auch…
@ Ads : J’hésite entre autofiction et autodérision :0)
La prochaine fois t’iras là, hé, banane !
http://www.youtube.com/watch?v=ykeaOnFAQHY
@ Madame de Sandre nous n’avons pas élevé les régimes ensemble, tenez votre langage ! (Et puis vous confondez fêter avec faire la fête, révisez votre vocabulaire).
J’espère que votre anniversaire n’en a pas été, entièrement, gâché. Votre texte provoque le rire. Il m’est désagréable de penser que ce soit à vos dépens. Je ris , encore, d’un texte qui fait référence. dans le Pyjama , Pierre Daninos raconte un accident de voiture dont il a été victime: » pour n’importe quel obscur conducteur, le titre du fait divers serait : Fonçant sur l’autoroute du sud en sens interdit, un chauffard heurte de plein fouet la voiture de Pierre Daninos. Pour le général, cela se traduit par [en caractères moins grands]: On se perd en conjectures sur les raisons qui ont poussé le général Noiret à s’engager à contresens sur l’autoroute du Sud. …On déplore un mort , un blessé grave mais pas sérieux! »
Il en suit tout un chapitre désopilant où il décrit, avec verve,comment son état d’humoriste minimise son état de santé aux yeux des tiers. « Mon cher, vous n’en ferez jamais d’autres » . Voilà une petite anecdote pour vous faire sourire.
@ Patrick Verroust : Pas entièrement gâché non, mais ébranlé tout de même. Il régnait dans ce lieu, une atmosphère tout à fait irrespirable. Je n’avais qu’une hâte, en partir au plus vite. Il me fallait ce texte pour retrouver ma bonne humeur. C’est chose faite. Merci pour l’anecdote, je ne la connaissais pas.
Hahahahaha ! Excellent, croustillant, succulent, rapport, Capitaine Fredaime. Visé, touché, coulé, mais le rafiot semblait déjà prendre l’eau, on dirait l’un des exemples ahurissants de cette émission de télé amerloque (dont j’ai oublié le titre, du genre « Tempête en cuisine » ou « Ouragan sur le Chef ») dans laquelle un vrai grand chef essaye (avec des ruses de Sioux, hinhin !) de sauver des restaurateurs exécrables en leur apprenant à faire ne serait-ce qu’une omelette…
(Très contente aussi de voir les belles photos de Christine en une. Vive le Cafard Felu !)
(Heu… Du moment qu’il ne tombe pas dans l’assiette, of course…)
@ Sophie : Merci de ce rire tonitruant qui prouve que tu as vaincu la varicelle et repris du poil de la bête. Tu reprendras un peu de canard pressé ? Comment ça, non ?
Ben ça alors , mon commentaire précédent est tombé dans le puits. Je disais, ce lieu d’infamie, où se trouve-t-il que je l’évite soigneusement. Est-ce son vrai nom. En tout cas, si le repas était dégueu, ton billet lui est succulent.
Héhé. (Pas encore vaincue, mais j’touche au but.)
L’aile … ou la cuisse ?
Bonjours et bises, Jean-Claude
@ Zoé : C’est son vrai nom, mais je ne fais pas de liens. Manquerait plus que je lui fasse de la pub ! Le billet, c’était pour en avoir au moins pour mon argent 🙂 et en faire profiter les autres.
@ JCP : Ni l’un,ni l’autre, enfin, je ne te le conseille pas. Comment vas-tu Jean-Claude ?
Je vais bien, merci, randonnée hebdomadaire dans la neige (venue un peu tard…), écriture au quotidien et nourriture peu toxique : des perspectives de vie décennales tacitement reconductibles pour le moment.
Tiens, voilà du blanc:
http://souliervoyageur.canalblog.com/archives/ariege/index.html
A+ JC
@ JCP : La belle vie. Profite.