Mon Cher R.B.
Récemment, tu m’as fait parvenir sous le manteau et dans le plus grand secret, un DVD hautement subversif, j’ai nommé La source des femmes. Y était joint ce message laconique : vous devez absolument regarder ce film !
Me fiant à ton enthousiasme, j’en ai parlé à ma fille – jeune et accorte personne – qui s’est fadée un long chemin pour me rejoindre, les pieds nus et ensanglantés, après avoir pêché par excès d’enthousiasme devant les manifestations du printemps. Voici qu’elle se précipite pour visionner ton film, prenant à peine quelques heures pour faire ses ablutions et se sustenter.
Le verre à la main, nous nous installons le plus confortablement possible, pour suivre les tribulations de Leïla dans un des pays du prophète, laquelle, rejetant les traditions ancestrales, prétend se faire installer l’eau courante en pratiquant la grève des pertuis – qui sont au nombre de trois et non pas de mille comme on voudrait nous le faire croire.
Nous en étions donc au moment crucial où Leïla se demande si son instituteur de mari ne va pas la répudier, tandis que ledit mari brandit un menaçant couteau sous la gorge de l’amant (car oui, il y a aussi des amants au pays du prophète), et qu’une cohorte de femmes soumises menace de briser la grève des fameuses donzelles en prenant leur place. C’est que le divorce est vite prononcé dans le sable des montagnes !
C’est alors… à peine si j’ose le dire, c’est alors… que le film s’arrêta net. Oui, tout net. Ding. Et même Dong.
Mon Cher R.B., il m’est impossible de te répéter les mots qui fleurirent sur nos lèvres jusqu’alors intactes de tout juron – le prophète s’en bouche les oreilles et au très grand là-haut, ça déménage dans tous les sens. Nous crûmes d’abord à un sabordage misogyne, une piètre rébellion d’hommes dépassés par la hardiesse de leurs femelles. Puis, nous fûmes contraintes de rendre les armes : il s’agissait bel et bien d’une ânerie technique, une aberration post-révolutionnaire, l’impéritie d’un copiste du dimanche !
Mon cher R.B., je ne suis pas d’une nature rancunière – Dieu m’en préserve – mais je pense que la bergère doit répondre au berger. En conséquence de la funeste soirée de Pâques dont tu es l’incontestable fléau, j’ai décidé d’appliquer la loi antédiluvienne du talion. Tu m’as récemment commandé un livre que j’ai cherché dans la France entière pour te faire plaisir. Je ne suis pas comme toi, je ne fais pas les choses à moitié. Tu recevras les cent premières pages de ce magistral roman, la suite étant scellée au coffre jusqu’à plus amples négociations. Tu peux – tout comme moi – en chercher la suite sur internet. Je te souhaite de trouver –tout comme moi – une version en vrac, issue du Kurdistan et traduite en sanscrit. Sinon, je te propose de nous retrouver au chant du coq dans le champ communal pour respecter ma tradition. Je ne manquerai pas de quérir un thé à la menthe et quelques pâtisseries pour respecter la tienne. Nous pourrons alors procéder à l’échange qui convient.
Je sais que je t’ai promis dans un mail récent, de ne rien révéler de tes incompétences, pour préserver l’adoration que te porte ta sainte mère et la réputation de ton père bien-aimé, tous deux ruinés par tes études d’ingénieur. Mais comme je ne suis qu’une chienne d’infidèle, je m’en serais voulu d’avoir la moindre parole. Dans l’attente de ta réponse, mon ami, je te maudis jusqu’à la huit centième génération et que le grand Challah te sonne les cloches durant ton sommeil. Yalla.
Je compatis. La frustration doit être grande. Grand merci au Pierre Richard du 21ème siècle qui nous a permis de lire ce texte ciselé et bien drôle.
@ Christophe : Le Pierre Richard du 21ème siècle, c’est ainsi que j’appellerai désormais RB ! Merci Christophe (et sinon, oui, je bous encore).
Savoureux! Mais nous savions depuis longtemps que Frédérique n’est jamais aussi grande que dans l’indignation…
J’ai le souvenir d’une mésaventure du même tonneau quand nos enfants étaient petits. On nous avait enregistré « La Corde » de Hitchcock sur cassette. Caprice des enfants les plus petits pour regarder avec l’aînée, négociations avec eux, (et nous, trop heureux d’avoir un moyen de pression, nous montons la barre assez haut, extorquons des promesses diverses.. ) Las, au moment du dénouement, la corde s’est révélée trop courte de quelques minutes. Impossible de savoir si les assassins allaient se faire prendre! Adieu contrôles révisés par cœur et coffres à jouets rangés….
@ M : Les enfants doivent encore en parler ! Quant à RB, il me menace par mail de jetage de sort et de rituels pour mécréants… Si je venais à disparaitre, dis à tous mes amis que je les aimais 🙂
Chère Frédérique,
Après avoir lu les doux mots que tu m’a adressé dans le mail suivi du billet élogieux auquel j’ai eu droit SUR INTERNET et au vu de TOUT LE MONDE. Je te fait parvenir ma réponse et mes explications quant au tout petit imprévu que vous avez eu à subir hier.
Tout d’abord, il faut savoir que pour un film qui vient du pays du prophète, il y a des rituels à mettre en place surtout pour des mécréants comme vous. Pour ne pas avoir de soucis et pour que la baraka descend sur votre séance de visionnement, Il faut se vêtir en burqa, faire disparaître l’alcool de la maison, mettre de l’encens partout et réciter le saint coran en entier. Réserver un billet pour aller faire le pèlerinage à la Mecque serait un plus.
Donc inutile de te signaler que tous les blasphèmes que vous avez lancé, et que j’imagine étaient la source de mes cauchemars de la nuit dernière, n’ont pas du tout aidé votre cause et encore heureux que votre beau télé écran plat n’a rien subit.
En bon musulman, je te ferais parvenir la semaine prochaine 3 exemplaires du film pour pouvoir vous exercer sur les différents rituels.
Par ailleurs, je te signale que si le livre, qu’en adorable et serviable amie tu es allé chercher dans la France entière en 5 ou 6 clics, ne me parvienne pas EN ENTIER, tu pourrais commencer à avoir peur. Car je t’informe que dans le pays du prophète on ne maudit pas mais ON JETTE DES SORTS. Donc fais attention à ma colère noire qui est encore plus sombre que la magie de la même couleur.
Finalement, que Dieu le tout puissant vous pardonne tous vos pêchés et vous accepte dans son paradis éternel, AMEN.
@ RB : Le grand Challah est tout estourbi de tes imprécations. Il est à craindre qu’il ne fasse voler une pluie de criquets géants sur ta djellaba. Quant à moi, je te ferai parvenir le livre en entier, mais je prendrai soin auparavant de rayer au marqueur noir et indélébile, l’intégralité des passages qui pourraient heurter ton petit cerveau immaculé de tout savoir. Et comme le disait ma grand-mère qui nous attend au grand là-haut de pied ferme : « Amen, ta bourse dans la mienne ».
Chère Frédérique, merci de ces moments savoureux, votre texte et les commentaires… Vous êtes une artiste complète, jouant avec bonheur de tous les registres 🙂
Beau clin d’œil à Aristophane que ce film que je découvre avec plaisir. Je ne vais plus au cinéma honte à moi, ni ne regarde de DVD. J’irai peut-être voir le travail de ce réalisateur, que je découvre aussi.
Merci Frédérique 🙂
Chère Michèle,toujours un plaisir de vous savoir par ici.Si vous devez aller au cinéma, il y a le très beau film norvégien « Oslo, 31 août », de Joachim Trier.
http://www.cinemovies.fr/fiche_multimedia.php?IDfilm=22467
Quand une battante raconte une histoire de cloches, cela résonne , résonne dans le tympan « ex cathedra ». Ce commentaire ne mérite pas d’être coulé dans le bronze.
bouter hors jusqu’à la dernière goutte d’alcool ? j’ai peur que Frédérique ne voie jamais la fin du film…
@ Madame de K : Ha ha ha, mais tu as mis des mouchards dans mon sweet home, toi !
@ Patrick : Vous avez des rapprochements audacieux avec le bronze.
J’ai oublié de saluer l’humour de ce billet qui m’a plongé dans les souvenirs de mon enfance quand les femmes ont acquis des lave-linges et déserté le lavoir. Il sert, encore, pour de grandes lessives,des prétextes à retrouvailles et palabres, aux gitans, et aux spéléologues.
J’ai oublié de féliciter l’auteure pour sa verve, marchant vers le village, je regardais les cloches , j’ai marché dans une m…e de chien, l’histoire est clochem…esque!
@ Merci Patrick. J’en profite pour remercier RB de son humour à défaut de pouvoir le faire pour ses capacités techniques 🙂
Le titre est fort prometteur (pour un homme…) !
@ Oui Gilles, tu peux développer ?
Cette histoire de source m’a ramené au pays de mon enfance, en bas à droite, en suivant la nationale 7. La famille s’exilait loin des plages et des filles méduses dans un cabanon aux sénés d’un hameau perdu de Provence. Nous vivions au gré de la canicule un été pagnolesque. Il y avait le courant électrique mais pas l’eau courante. Sans eau potable, la vie peut être si terne, que j’étais délégué , en ma qualité d’ainé, pour aller chercher de l’eau au village. J’avais un modeste vélo, sans dérailleur ni vitesses, un vélo de fille, ma mère attachait du prix à nos bourses, elle les auraient bien mises dans du formol pour qu’elles durent . J’équipais cette rossinante sur roues de bourrichons et d’un petit sac, j’allais à la claire fontaine faire le plein de liquide aqueux, je prenais des œufs au passage chez deux soeurs à la barbe piquante. Puis je m’en retournais, par la route cabossée, il fallait franchir un gué dans le creux d’un vallon, le jeu consistait à dévaler à toute bastringue, la descente pour avaler la remontée sans effort. Des filles du village, probablement curieuses de découvrir les curiosités anatomiques d’un citadin blond et maigrelet, m’atendaient au creux du gué, je freina, désespérement, elles m’aidèrent en sacripant, les sacripantes au guidon. Dans cette sacrée pente, l’arrêt fut brutale. Je ne leurs passait pas dessus, mais par dessus…Pour atterrir dans l’oued et ses caillasses. Outre quelques fractures et contusions diverses, j’avais le menton éclaté comme une figue trop mure. Les os du maxillaire inférieur étaient visibles. Les filles vinrent me réconforter « ce n’est pas grave, les œufs ne sont pas cassés »…Quelle chute! Ce fut ma première mésaventure féminine !
Merci pour cet excellent antidote aux temps coincés ces jours ci sous les dents de scie d’une crécelle. Fais pas bon vous contrarier hé hé.
@ Zoé : C’est vrai que je suis un peu vive, parfois 🙂
Ah fichtre fichtre.
La dernière fois qu’on m’a fait un coup pareil avec un film… enfin, je dis « on », c’est le film tout seul qui refusait de se laisser voir, j’ai dû m’y reprendre à 6 ou 7 fois, et j’ai tout eu : panne de téloche, interruption momentanée de l’antenne, coup de fil catastrophe, copine déprimée débarquant sur un coup de tête, etc. C’était « Docteur Jivago ». J’ai fini par le voir en entier il y a quelques années. :0)
(Merci, Fredaime et RB pour cet éclat de rire.)
@ Sophie : RB et moi, c’est une équipe qui gagne, on ne la change pas. (Il y a des jours comme ça, où ça ne veut pas.)