Ce texte m’a été commandé dans le cadre de la convention entre l’Institut Français et la Région Occitanie / Pyrénées-Méditerranée. Ce projet international est destiné à l’ensemble de l’interprofession. Pour de plus amples renseignements, consulter le site de OLL. A lire – Oujda la douce : « Je suis au Maroc » (1/4)
Oujda, nous voilà !
À notre arrivée sur la manifestation, il pleut toujours et le froid s’insinue sous le barnum blanc qui abrite les exposants. Un grand salon de réception y accueille une longue table dressée avec faste en vue de l’inauguration. On attend le Ministre de la culture d’un instant à l’autre. Tandis que notre délégation se présente aux divers acteurs du livre présents, une fanfare laisse éclater un air officiel plein de fougue. Flashs et bousculades, le Ministre est là, cerné par une meute de journalistes et de personnalités. Délaissant la visite officielle, je photographie la fanfare, neuf gaillards en uniformes blancs à bandes rouges, cuivres et percussions, qui jouent comme on se met au garde à vous. Ne manquent plus que les majorettes ! Qui n’a jamais quitté un bâtiment en musique et sous le regard d’une foule attentive, ignore ce que sortir en fanfare signifie.
Cette première soirée à Oujda sera constituée d’embrassades chaleureuses, de remerciements respectifs, de thé à la menthe et de sucre en perfusion. Plus tard, dans le théâtre Mohamed VI, les discours se succèderont, dont la langue me bercera à défaut de faire sens. Ils seront suivis d’un concert. Nous rentrerons tard et affamées, en espérant que quelques heures de sommeil suffiront à nous rendre un peu d’éclat pour la journée du lendemain. Les portes de ma salle de bain resteront prudemment ouvertes et la veilleuse indiquant la sortie de secours transpercera ma nuit de son œil vert.
Vivre ici, rêver d’ailleurs
Une délégation, c’est avant tout un travail d’équipe. Il faut jouer collectif. La délégation d’Occitanie Livre & Lecture a tenu ses promesses et gagné une réputation. Professionnelles, réactives, tout-terrain. Cinq femmes pour représenter le sud de la France dans un pays où la domination masculine reste un fait avéré. Cinq femmes aux personnalités différentes et affirmées, œuvrant à leur modeste façon parmi tant d’autres personnes, au rapprochement des régions d’Occitanie et de l’Orientale et à l’altérité dans les rapports humains.
Alors que le Brésil vient d’élire un dictateur, que la Tunisie et Strasbourg font face à un nouvel attentat et qu’une synagogue a été mitraillée en pleine prière, peut-on encore se poser la question du bien-fondé d’une telle mission ? Avant mon départ, je me suis demandé quelles pouvaient être ma place et ma fonction dans ce dispositif. Sur le terrain, ces questions n’ont plus lieu d’être. Elles cèdent devant les rencontres et la qualité des échanges qui s’opèrent, dès lors qu’on va vers l’autre, le cœur et l’esprit ouverts.
Au cours de la table ronde à laquelle j’ai participé, le modérateur a posé la question : y a-t-il un ailleurs indésirable ? Le sociologue anthropologue Hassan Rachik a tenté une réponse géographique, tandis que Laura Karayotov, agent littéraire et traductrice, a choisi l’approche linguistique. Fidèle à moi-même, à mes préoccupations de créatrice, je me suis placée sur le chemin de l’intime. L’ailleurs indésirable, pour moi, se situe dans les pertes à venir. N’est-ce pas une des choses que nous partageons tous, quelle que soit notre culture, notre couleur de peau ou nos convictions ? L’ailleurs désirable surgit ainsi en creux. Il est constitué par ce qui fait socle commun, ce qui nous rassemble dans une part intime universelle, cet endroit de soi que Carl Jung tenait pour fondamentalement positif.
Parler de ce lieu, parler de ce qui fait humanité, est à la source de tout ce que j’écris. Dans la salle, une étudiante en médecine a pris la parole. Elle a dit, en substance qu’elle n’avait qu’une intention pour se guider : Toujours aller vers la meilleure version d’elle-même. Cette phrase essentielle m’accompagne et m’a déjà servie à maintes reprises. D’autres voix se sont fait entendre, essentiellement des femmes, reprenant en chœur, chacune avec leur singularité, cette antienne. On pourrait la résumer ainsi : sans accès à cette part de soi qui nous relie et fait Pangée, l’humanité ne serait pas possible. Voilà pour moi – pour nous – l’ailleurs le plus indésirable.
Plus tard, j’entendrai l’écrivain Saad Khiari, lors d’un échange passionnant sur les héritages culturels, affirmer que le Maghreb a besoin d’apprendre à débattre, que le débat y est encore envisagé en termes de vainqueurs et de vaincus, alors qu’il est confrontation des idées. En va-t-il autrement en France, à l’heure où des conflits sociaux secouent notre société, ou dans n’importe quelle autre partie du monde ? Si les idées se confrontaient pacifiquement, nous en serions les premiers informés…(à suivre)
Merci.
Pour la photo.
à suivre.
J’attends Impatiemment.t