En rentrant, il avait juste dit : « Je suis allé chez eux. C’est propre, tout est rangé à sa place. La pelouse est tondue, il y a des chaises longues près de la piscine et un barbecue maçonné. Ils ont fait beaucoup de travaux et dehors, tout est achevé. Ce n’est pas comme ici. ».
Elle avait gratté la toile cirée de son index rongé avant de murmurer : « Mais c’est bien chez nous, aussi ».
Il avait repris, sans l’écouter : « Chez eux, ça sent toujours bon. »
Et elle : « J’ai préparé un clafoutis. »
Et lui : « J’aime pas trop les gâteaux, tu sais. »
« Savoir ne m’empêche pas d’espérer ». Il s’était levé sans souffler, ni même pincer des lèvres. Simplement, à mi-hauteur, quelque chose avait bloqué son élan, un obstacle invisible quelque part entre tripes et cœur. Il avait eu deux ou trois secondes d’arrêt avant de se déplier complètement.
Il n’avait pas hésité devant la porte d’entrée, comme quand il faisait mine de sortir jardiner, bricoler, ou se balader. Non, il s’était dirigé droit sur le canapé fatigué, s’y était englouti dans le ronron du tour de France. En pause directe.
Ce bruit de fond l’attrista plus que la nouvelle de l’accident du voisin, écrasé par son tracteur. Une mouche verte bourdonnait sur le plan de travail à côté des miettes que ni lui, ni elle, n’avaient eu le courage de nettoyer. Une trace grasse balafrait la vitre au-dessus de l’évier.
Bien sûr, chez eux, ce n’était pas droit, les murs gauchissaient, les meubles s’empoussieraient parfois, des araignées filaient doux entre les solives, le chien lâchait ses poils dans le tapis de la salle de bain. Le canapé portait une déchirure sans orgueil, le four avait vingt ans déjà, l’herbe était folle – la mauvaise plus que les autres. C’est bien normal, non ?
Il n’y avait pas de jolis meubles cirés imitant le rustique, ni de fausses pierres collées sur des murs alignés comme des juristes. Pas davantage de petit cabanon tout en un avec fenêtre égayée et cheminée factice. Pas de piscine non plus, ou de tonnelle avec table en teck imputrescible et rosiers nains grimpants – ils sont moins durs à entretenir que les autres et puis ils n’abîmeront pas la treille. Que pouvait-elle dire devant le crépi jaune moutarde et les volets bleu de provence, les lampions multicolores, la perfection des jardinières en plastique et des cuivres d’opérette ? Que pouvait-elle dire des maisons de pacotille qui abritent les bonheurs en carton qui ne s’enracinent pas ? A part qu’elle n’y était pas chez elle.
Oui, ils avaient fait beaucoup de travaux – eux – pas comme ici et chaque chose étant à sa place, ils pouvaient désormais se reposer et attendre que ça passe. Parfaite petite maison pour mort respectueuse et plus de bruit après dix heures.
Elle se leva. Il l’entendit accrocher les persiennes de leur chambre. Elle vint se poster dans le salon. Au bout d’un moment, il tourna la tête vers elle. Elle eut un sourire très doux, encourageant : « Tu viens ? ». Il sourit à son tour quand elle lui tendit la main.
Pour l’ami qui n’aura pas eu le temps de venir s’asseoir dans la maison de Frédérique.
@FM. Vous écrivez un joli texte émouvant et vous y collez l’infâme Lama !!! Enfin…
Sinon, tout est juste, pesé, senti dans ce texte. Jusqu’à la phrase en italiques dont on devine le sens plus qu’on ne le « comprend ».
Tiens, j’ai relu le texte : il est poignant.
De bien beaux mots, Frédérique. Ah oui, donc, j’ai lu L’écharde du silence et faut que je vous dise que j’ai beaucoup aimé. Après lecture, je rangé votre ouvrage dans ma bibliothèque étanche avant que les mots débordant de générosité se dispersent. Hasard alphabétique, il se trouve à présent à côté de La condition humaine de Malraux, et fait un salutaire pied de nez à Mérimée 🙂 Je le trouve un peu à l’étroit. Alors j’hésite : le garder pour le prêter ou l’offrir lors d’éventuels échanges littéraires en cas d’amitiés ou amicalités partagées, ou lui rendre sa liberté et le laisser circuler. Comme j’ai envie qu’il reprenne son envol à partir de chez lui, je me demandais si vous aviez un endroit à me conseiller où le déposer à Toulouse, afin que quelqu’un-e ait l’occasion de le découvrir ?
@ Monch : Je suis en plein recueillement devant ces quelques mots. Je goûte. Je savoure. Je m’enchante :0) (L’infâme Lama… C’est lui qui a écrit cette chanson « dans la maison de Frédérique » et cet ami – vous comprenez toujours à demi-mots et c’est un compliment vous savez – aimait Lama et le chantait. C’est un double clin d’oeil privé, chaque été au 1er août). Monch, savez-vous que vous êtes de plus en plus ADORABLE.
@ Emelka : Et si vous le prêtiez à vos amis, plutôt que de l’abandonner sur un banc où il risque de subir les pires outrages ? Malraux et Mérimée, hum, ces messieurs vont encore vouloir prendre toute la place. Merci Emelka de vos mots et de votre lecture.
Frédérique, merci pour ce texte émouvant et juste. (Je vous t’aime, tiens.)
@ Sophie K : Le gros grain est terminé ? (ben, c’est drôlement gentil ça )
Nom de Dieu ! Un grand beau petit texte. Dans la distance exacte de l’écriture juste. Une histoire de vieux couple.
J’adore, quel talent.
@FM: ah oui! C’est beau! Il aurait beaucoup aimé! Et il n’y avait que Lama….
P’tin, si tu venais chez moi, tu verrais les poussières et les toiles d’araignée, le foutoir en fait…
Les fauteuils encombrés, le bout de table prêt à partir…
Et moi qui reste là…
c’est gentil chez toi Fredaime, on a envie de s’y inviter pour un mojito (j’adore les araignées qui filent doux)
@ Gilles : Pas si vieux que ça, Gilles, en tout cas pas pour moi. Mais qui se connaît depuis longtemps, assez pour ne pas dire le plus important et le comprendre quand même.
@ Martine : Merci Martine, cela me touche que tu passes ici et je t’en remercie.
@ Babeth : J’espère qu’il aurait aimé. J’aurais aimé qu’il aime. C’est long, tout ce temps depuis, n’est ce pas ?
@ Vinosse : Avec ces quelques phrases, je le vois. Si vous étiez un personnage, je finirai par vous faire lever pour aller dans votre atelier. Je ne vous laisserai pas là, comme ça.
@ Zoé :On n’a que des verres dépareillés, ça ira quand même ?
Votre écriture, précise et dépouillée, enserre ces « deux-là » au plus tendre de leurs silhouettes… Pourtant, c’est probablement cette distance toute paradoxale qui les lie, Elle et Lui, qui me rend votre texte touchant et troublant.
@ Frédérique la photographe : Vous en auriez sans doute fait une trés belle photo. La distance entre eux, c’est le chemin qu’ils ont a parcourir au quotidien pour se rejoindre, à un moment ou à un autre.
Je ne sais, mais une certitude… nous portons en nous l’image comme vous portez en vous l’écriture, le révélateur fera son oeuvre.
@Frédérique la photographe: c’est très juste et bien exprimé!
Bon, je commenterai ce soir ton texte.
En attendant plutôt que d’écouter Lama, tu ferais mieux d’écouter ça :
http://www.youtube.com/watch?v=3I5OiyI53AU
Gniagniagnianianiania…
Et maintenant, il y a DEUX Frédérique ! Je ne sais plus où donner de la tête !
@Gilles… si t’es pas atteint de strabisme convergent, ça devrait aller !
@FM. clafouti peut s’écrire sans « s ».
@AdS. Pour une fois, un très bon choix musical. Elle est magnifique cette chanson.
« En rentrant, il avait juste dit : « Je suis allé chez eux. C’est propre, tout est rangé à sa place. (…) Ce n’est pas comme ici. ».
Cette introduction est terrible je trouve. On pourrait penser que ce n’est pas une comparaison en la défaveur de sa maison à lui pourquoi pas, se dire que c’est trop propre et rangé à son goût, mais il y a Elle qui lui répond : « Mais ». « Mais,c’est bien chez nous aussi. » avec son index rongé donc sans manucure et peut-être du stress ou de l’angoisse et ce murmure, et cette toile qu’elle gratte parce qu’elle n’est pas assez propre. L’a-t-elle gratté en un geste conjuratoire au moment où il prononçait ces mots ? Comme pour rivaliser inutilement, avec ce geste d’une beauté dans ce qu’il suggère que j’aime énormément.
Il avait repris, sans l’écouter : « Chez eux, ça sent toujours bon. » Reproche multiple par l’olfaction : ça sent le propre, la bonne cuisine etc. et surtout, « toujours ». Ce putain de toujours qui sous-entend que même quand c’est le cas chez eux, avec Elle, ce n’est pas assez en comparaison de ce qu’il admire en face.
Et elle : « J’ai préparé un clafoutis. »
(ça sert à rien ma chérie, ton clafoutis ne rivalise pas ou plus. Pétard FM tu as une capacité de suggestion infernale.)
Et lui : « J’aime pas trop les gâteaux, tu sais. »
“Savoir ne m’empêche pas d’espérer”. Voilà. On y est, tout est dit. On peut même entendre je ne t’aime pas trop, voire plus trop, tu sais, je préfère les rousses, ou les rondes (peu importe), et Elle lui répondre : « ça ne m’empêche pas d’espérer que tu vas finir par m’aimer, ou par m’aimer à nouveau comme avant ». Peut-être même a-t-il bêtement mangé et dit apprécier son gâteau de leur premier rendez-vous amoureux et laissé traîner ce mensonge diplomatique pendant tout le temps pour ne pas la chagriner.
« Bien sûr, (…) C’est bien normal, non ? »
Cette pauvre défense est très touchante.
« Elle se leva. Il l’entendit accrocher les persiennes de leur chambre. Elle vint se poster dans le salon. Au bout d’un moment, il tourna la tête vers elle. Elle eut un sourire très doux, encourageant : « Tu viens ? ». Il sourit à son tour quand elle lui tendit la main. »
Il l’entend et prend son temps. Il ne tourne la tête qu’au bout d’un moment. Elle, on connaît son sourire, il est doux et encourageant. Sa persévérance, son espoir sont très beaux.
Il sourit à son tour et là on ne sait rien de lui. Par habitude ? Tendresse ? Avec amertume ? Dépit ? Regret ? On n’en sait rien. Elle lui tend la main comment pourrait-il la refuser ?
Et si la tendresse, la loyauté et l’habitude étaient leur ciment ?
Chapeau Frédaime, j’aime quand tu grattes de ta plume la surface des sentiments.
@ Anna : je suis sans voix. Quand tu commentes, tu commentes. Tu as trouvé les articulations principales, ces moments de bascule, ces instants de rien. Ce va et vient du non dit entre eux. Il l’aime, plus qu’il ne le sent par moment. Mais, la lassitude, l’usure, l’envie parfois… Merci Anna, c’est un sacré beau commentaire.
Du propre et du sale, la mort s’en tape et s’en régale.
C’est bien décrit et j’aime la tendresse de la fin, plus forte que tout le reste.
@FM : ben oui mais j’aime bien lire tes nouvelles et tes poèmes.
FM sans voix ! Ah la bonne nouvelle ! Mais j’y crois pas un instant. Malheureusement, une déclaration sans avenir. 😀
@ Kouki : Merci pour la tendresse, Kouki, c’est important.
@ Monch : Tout le monde sait que vous péririez d’ennui sans moi. En plus, j’ai une voix de sirène 🙂
Et puis ça vaut mieux qu’un avenir sans déclaration !
@ Ads : Tu seras ma biographe ?
@FM. Une voix de sirène ? Comme celle des ambulances ou des pompiers ? Fouchtra !
@ Monch : Vous en voulez de la sirène, nom d’un petit thon à l’huile d’olive ? En voilà : http://sirene.over-blog.com/
@FM. Et en plus, j’ suis sûr que vous aimez cette « sirène »… j’ suis tétanisé. 🙂
@ Monch : Bien sûr, qu’est ce que vous croyez. C’est de l’Art, j’en ai tapissé tout mon salon. Et cette musique diviiiiiine, vous l »aimez vous aussi (nous avons les mêmes goûts). 🙂
@Monch : j’avais pas vu votre com’ : vous aimez vraiment ? Moi je l’adore cette chanson.
@FM : ta biographe ? ça va t’coûter la peau de ton joli p’tit cul mais pourquoi pas ?
@ Ads : Une biographe doit avoir respect et déférence devant la personnalité dont elle explore la vie. Pas d’histoire d’argent ou de fesses entre nous 🙂
@FM : ah ? j’vais m’emmerder du coup 🙂
@ Anna : Hétaïre !
@AdS. C’est une de mes chansons-fétiches françaises, avec « le petit bal perdu », « les enfants de la butte » et quelques autres, sans compter les Trenet.
@Monch, c’est pas plutôt « la complainte de la butte » ?… Si t’as 1 balle à glisser dans le juke-box, j’écouterai bien « bal chez Temporel », te laisse le choix pour l’interprète.
@ Monch : Ce n’est pas moi qui ai écrit ce commentaire, c’est l’Autre Frédérique.
Fredaime, tu pourrais pas d’appeler comme ça qu’on évite les noeuds dans le neurone. Déjà qu’il est bien fatigué après toutes ces éminences que j’ai écoutées tous ces jours?
@Monch’ : quand vous pleurerez à chaudes larmes en écoutant cette chanson de Leveillée vous pourrez ouvrir votre gueule et affirmer qu’elle est l’une de vos chansons fétiches. En attendant, si vous aimez vraiment Trenet, ce dont vous me permettrez de douter un tantinet, vous devez être capable d’écouter cette chanson en ronronnant comme une chaudière :
http://www.musicme.com/#/Charles-Trenet/albums/Le-Recital-0745099617523.html?ipg=5&play=01_02
@ ADS : Pouf pouf, je ne fais que passer. Extra cette chanson, merveilleuse, du miel dans mes oreilles. Anna t’as un goût formidable et très sûr. (ou sure, je ne suis pas sûre)
@Frédérique. Je savais que c’était la « complainte » mais tout l’ monde l’identifie par cette phrase. Colette Renard la chantait. Mais sortir Guy Béart avec la seule chanson convenable qu’il a chantée ! Faut dire que le texte est pas de lui mais de Hardellet, ceci explique cela. Grand poète Hardellet ! Lisez-le.
Ah non, maintenant que j’y pense, Béart a eu une autre heureuse initiative : il a chanté le beau texte de Jacques Grello. C’était quoi encore, Frédérique ? 😀
@AdS. J’étais tellement ému la première fois que j’ai entendu Léveillée, que je m’ suis pissé d’ssus. C’est dire si j’ suis sensible.
Et pour Trenet, un lien où il manque « la folle complainte » est un lien pourri. Ou « les enfants s’ennuient le dimanche » ou la « femme python »… Me défiez pas sur le terrain Trenet ! Vous avez lu ses romans ? Pffff… J’ suis fan de Trenet depuis mes neuf ans, alors…
@FM. Peu importe la Frédérique, j’ vous emballe dans le même papier cadeau.
@ Monch : ah ! y’a pas que moi qui m’y fait prendre à Frédérique and Frédérique !
@ Monch : M’emballer, m’emballer, comme vous y allez. Grand vantard, va 🙂
@FM. J’ savais qu’ vous alliez réagir ! 😀
http://www.youtube.com/watch?v=WVX7N3Bh5Xk
@ Monch : Vous vous êtes fait prendre la main dans le sac et pis c’est tout ! 🙂
@ Ramon : Monomaniaque.
@FM. Je SAVAIS qu’ vous alliez réagir. 🙂
Moi j’y vais plus chez eux . Mais c’est vrai que c’est comme ça , comme vous dites . La derniére fois que j’y suis allée ils venaient juste de finir les tarvaux pour les fausses pierres . Bon , c’est pas grave tout ça de toutes façons . Tiens j’en ai marre de tout , je m’en irais bien comme ça sans rien sur la route avec ma canne et je marcherais jusqu’au bout de mes pas et puis voila … Là où je tomberais ça serait chez moi enfin … Mais chez moi c’est aussi là quelque part dans la forêt … Bon , c’est pas grave … ça va pas si mal au fond .
@ Monch : Vous diriez n’importe quoi pour ne pas perdre la face 🙂
@FM. Bon… vous avez gagné… je me suis fait avoir comme un bleu… 🙂
Tu est aussi reviendue ?
Choueeeeeeeeeeeeeeeeeeettte ! :0)
@ Sophie K : Voui 🙂 🙂 🙂
@ Monch : Vous êtes mignon en bleusaille. Souriez, je vais vous prendre en photo.
@FM. J’aime pas être photographié.
Parlez plus de photos, plize. (Beuheuheuuuuuuu…)
@ Monch et Sophie : Une petite photo de groupe :0)
@ Monch et Sophie : Une petite photo de groupe :0)
(À ne pas prononcer avec l’accent de chez moi, j’habite en Alsace.)
@ Borhen : Pouvez nous la faire en phonétique ? Je ne suis allée qu’une fois en Alsace et je ne me souviens pas bien.
Monch et Saaauuuuphie : une peutite phautau de croupe.
@Borhen : Votre humour me ravage ! Bous irez loin bon pétit.
Ach. Fous êdes tes foyous, moi che tis. :0)))
@Borhen : jubilatoire, vous disais-je.
Ach. Fous êdes tes foyous, moi che tis. :0)))
Curieux mélange entre le teuton et le lillois…
Je suis Italo-Suisso-Alsaço-Provençale. Du coup, les accents et moi… :0)
@ Sophie : Oui, mais du Sud ou du Nord ?
Des deux, j’crois, hahahahaha !
ben tu vois, je sais pas me taire quand j’aime…